Cover
Titel
The Alps. An Environmental History


Autor(en)
Mathieu, Jon
Erschienen
Cambridge-Medford 2019: Polity Press
Anzahl Seiten
216 S.
von
Gal Stéphan

Cet ouvrage est la traduction anglaise du livre de Jon Mathieu, paru à Stuttgart en langue allemande en 2015 sous le titre Die Alpen, Raum, Kultur, Geschichte. Il paraît ici dans la nouvelle collection des éditions Polity, intitulée Environmental History. Jon Mathieu attire d’emblée notre attention sur une formule de l’historien Fernand Braudel faisant mention de l’état d’exception qui caractériserait les Alpes: «les Alpes sont les Alpes, c’est-à-dire une montagne exceptionnelle» (La Méditerranée, 1ère partie chap. 1). Cette expression est en réalité peu explicitée par Braudel qui la contredit largement dans son oeuvre en englobant constamment les Alpes dans sa définition des montagnes en tant qu’espaces archaïques en marges des civilisations. Mais la question reste posée: y aurait-il une exceptionnalité alpine? Le livre de Jon Mathieu relève le défi d’apporter une réponse à une telle interrogation en s’inscrivant d’emblée dans la perspective aussi fondamentale que délicate de savoir comment on peut écrire une histoire des Alpes. Il se propose d’y répondre en présentant son approche comme un essai sur l’histoire environnementale, parcourue de manière braudélienne, autrement dit sur un temps très long, des chasseurs préhistoriques, comme le fameux Ötzi, jusqu’au XXIe siècle. C’est au final un livre de synthèse sur l’histoire des Alpes, nourrie d’éléments anthropologiques et géographiques, qui dresse un état de nos connaissances sous la forme d’une vaste typologie chronologique et thématique de l’espace alpin.

Tout d’abord Jon Mathieu resitue historiographiquement les Alpes dans une histoire européenne et comme un espace précoce d’études, notamment de nature environnementale. Il nous rappelle ainsi que les Alpes ne relèvent pas d’une simple approche régionaliste et encore moins d’une histoire que d’aucuns se plaisent à considérer comme «locale». Les multiples études internationales et pluridisciplinaires mobilisées ici le montrent aisément. En historien, Jon Mathieu adopte dans un premier temps une démarche chronologique, en quatre âges, à partir des différentes occupations humaines des Alpes, du Paléolithique jusqu’à aujourd’hui. Le chapitre 4 inaugure une approche thématique qui met en avant la société, les mobilités humaines et les grandes activités socioéconomiques, aux prises avec les contraintes des hauts et des bas qu’impose la montagne. Se pose ensuite la question des rapports entre pouvoirs et territoires de montagne, de l’échelle étatique à la cellule familiale. Dans le chapitre suivant, viennent les aspects religieux et culturels, avec l’insistance sur une dimension savante précoce qui voit dans les montagnes la clé de l’histoire de la Terre. La perception des Alpes par leurs visiteurs, de plus en plus nombreux à partir de l’époque moderne, forge les stéréotypes sur lesquels se construisent au XIXe siècle des «montagnes nationales». C’est aussi l’époque où les montagnes, plus difficilement accessibles à la révolution des transports et au développement urbain que les plaines, apparaissent comme des espaces de marges et de retards. Le chapitre 8 aborde au contraire la modernité des Alpes, espace perméable à de nombreuses innovations, voire lui-même cadre privilégié d’innovation, qui passe d’une domination de la nature à une forme de nouvelle dépendance de nos sociétés à l’égard de la nature. Le dernier chapitre se concentre sur les grands développements et défis de l’après-guerre qui ont changé les bases de l’histoire des Alpes: l’unification européenne et le mouvement environnementaliste en sont les deux tournants.

Serait-on passé d’une hypothétique notion de «civilisations des Alpes»2 à une forme de «conscience alpine»? Au final, le livre de Jon Mathieu met en lumière un élément constant: le caractère connecté des Alpes. Lesquelles sont, depuis toujours, rien moins qu’une barrière ou un mur, comme on l’a si souvent prétendu. Espace de vie et d’habitat, de transit, de circulations, d’échanges et de jeux, les Alpes sont aussi devenues un espace de paix sans précédent, tant à l’échelle transnationale que transrégionale. Au fil de cette vaste frise, l’environnement naturel se trouve parfois effacé, contrairement à ce que suggère la couverture qui montre un bouquetin sur fond de glacier. Au-delà des stéréotypes, quid de la relation entre l’animal et l’homme à l’heure du retour du loup et de l’ours dans les Alpes? Mais aussi plus largement du rapport du naturel au culturel, du sauvage au civilisationnel, point de départ de la démarche braudélienne? On peut regretter que l’ouvrage n’ait pas plus résolument restitué à la montagne alpine la place d’actrice de l’histoire qui lui revient, au moins depuis la Renaissance, qui vit non plus seulement des voyageurs et des muletiers, mais aussi des soldats par dizaines de milliers, des rois et empereurs, des artistes venus de toute l’Europe sillonner ses pentes et franchir ses cols dans des conditions telles qu’elles furent jugées dignes de mémoire et de gloire. La mise en visibilité des Alpes, par l’art comme par les usages politiques et militaires, fut alors sans précédent. L’ouvrage de Jon Mathieu n’en demeure pas moins une très utile synthèse, marquée par une érudition remarquable, qui réalise une forme d’état de l’art historiographique tout en ouvrant de nombreuses pistes prometteuses pour les recherches à venir dans le domaine non seulement de l’histoire, mais de l’ensemble des sciences humaines dont l’étude de la montagne est un des grands carrefours. Les Alpes subissent aujourd’hui une formidable accélération de leur histoire à cause du réchauffement climatique qui nous oblige à repenser notre définition même de la montagne et des usages que l’on en fait. À la lumière d’un tel phénomène, la problématique mise en exergue par Jon Mathieu nous rappelle que, plus que jamais, et peut-être plus qu’ailleurs (hormis les pôles!), l’espace alpin apparaît dans toute son exceptionnalité qui en fait un laboratoire du changement et un démonstrateur unique des transformations tant naturelles que socioéconomiques à l’oeuvre à l’échelle de la planète.

Zitierweise:
Gal, Stéphan: Rezension zu: Mathieu, Jon: The Alps. An Environmental History, traduction par Rose Hadshar, Cambridge-Medford 2019. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 71 (1), 2021, S. 162-164. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00080>.